Article paru dans Le Monde le 18 Août 2010
Le gouvernement suisse veut poursuivre son bonhomme de chemin sur la voie étroite et bilatérale qu’il a empruntée il y a des années. Traduction en langage simple : pour l’adhésion à l’Union européenne, y a pas le feu au lac !En réalité, le gouvernement n’a pas d’autre choix : l’opinion est largement opposée à l’adhésion, le plus grand parti suisse, l’UDC, en fait un casus belli, et le patronat et les puissantes banques suisses s’accommodent très bien du statu quo.
Alors, où est le problème ? Le problème, c’est que la Confédération a signé avec Bruxelles 120 accords bilatéraux, qui vont de la libre circulation des personnes à la fiscalité de l’épargne, en passant par la politique d’asile, le transport aérien, la lute contre la fraude, etc., mais qu’elle ne veut pas reprendre automatiquement dans ses lois l’acquis communautaire. Selon le délicieux eurojargon qu’on utilise à Bruxelles, c’est “le socle commun de droits et d’obligations qui lie l’ensemble des États membres au titre de l’Union européenne», c’est à dire toutes les lois, les traités, les déclarations, les arrêts de la Cour de justice. En gros, Bruxelles dit aux Suisses : si vous voulez conclure avec nous des accords bilatéraux, il vous faut accepter en bloc toute la législation européenne, actuelle et future, et la transposer dans vos lois suisses.
C’est exactement ce que les Vingt-Sept exigent d’un pays qui veut adhérer à l’UE, sauf que la Suisse ne veut pas du tout adhérer, mais seulement conclure des accords bilatéraux. Bruxelles est agacé par l’attitude de la Suisse, qui veut le beurre et l’argent du beurre. Mais Berne répond : nous ne mangeons pas de ce pain-là. Le gouvernement suisse est dans une impasse et il n’a pas de marge de manoeuvre. Selon le rapport Europe 2010 discuté à Berne, la stratégie bilatérale est chaotique et impraticable. Mais le gouvernement est divisé, et selon le quotidien Le Temps , “ A un an des élections fédérales, l’UDC n’attend qu’un indice d’un rapprochement de Berne vers Bruxelles pour l’exploiter électoralement.”.
Alors, pour explorer la voie bilatérale, le gouvernement suisse propose de créer un groupe de travail Suisse-UE composé de hauts fonctionnaires. Et pour désamorcer les mines nationalistes, un comité politique suisse composé des partis et des cantons, pour suivre les négociations.
La partie sera rude, mais Berne ne part sans biscuits. La Suisse est le premier partenaire commercial de l’UE : 65% de ses exportations vont vers l’UE et plus de 80% de ses importations viennent des Vingt-Sept. 75% des investissements étrangers en Suisse viennent de l’UE. Qu’on s’aime ou pas, les chiffres sont plus importants que les sentiments dans une négociation.
Mais il y aussi d’autres raisons à la réticence suisse : c’est le système politique de la Confédération. L’Etat fédéral n’a pas d’autorité en matière fiscale : chaque canton fixe souverainement ses impôts. Certains proposent même un forfait fiscal à de riches étrangers, comme Johnny Halliday. Evidemment, à Bruxelles, à Paris et à Berlin, on hurle aux paradis fiscaux. Mais surtout, c’est le sacro-saint droit de referendum et d’initiative, qui permet à 100 000 électeurs de demander un vote sur une loi adoptée par le Parlement ou une modification de la Constitution. Imaginez que la Suisse ait fait partie de l’UE et qu’elle ait accepté la fameuse initiative anti-minarets. Face aux demandes pressantes de Bruxelles, la droite nationaliste suisse n’acceptera jamais que “des juges étrangers fassent la loi dans nos vallées”.
Alors, par résignation plus que par choix, le gouvernement suisse avance à petits pas sur la voie bilatérale, coincé entre les thuriféraires de l’Europe et les inconditionnels du “peuple des bergers”. Comme l’affirme un diction populaire dans le canton de Vaud : “Qui ne peut ne peut ”.
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